Leadership et jeux en ligne

La Harvard Business Review de mai revient sur les résultats d’une étude d’IBMde 2007, consacrée au leadership et aux jeux de rôle en lignes multi-joueurs (plus communément appelé MMORPG). Les techniques et outils utilisés par les joueurs sont et seront ceux du leader de demain. Nous allons reprendre ici les principales idées de cette étude.

Pour commencer, il semble important de reproduire un graphique de l’étude menée pour IBM, qui montre la répartition des compétences communes aux leaders d’entreprises et aux joueurs en ligne (cliquer sur les schémas pour les agrandir )

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Souvent les projet sont gérés avec des partenaires où le coordinateur n’est pas réellement le supérieur hiérarchique de l’équipe. Des décisions rapides doivent être prises et avec des gens qui sont éloignés géographiquement et qui ne se sont jamais rencontrés physiquement. Si ce mode de management à distance est de plus en plus répandu dans le monde des affaires, c’est depuis longtemps le mode de fonctionnement des MMORPG. Les défis quotidiens de ces leaders de jeux virtuels sont : recruter, évaluer, motiver, récompenser, coordonner des gens aux cultures et talents différents, capitaliser sur l’expérience et prendre des décisions rapides à partir d’informations parcellaires et multiples. Est-ce vraiment différent du monde du manager de l’entreprise ?

Mais plus surprenant, l’environnement dans lequel évoluent ces leaders potentiels est tout aussi important que leurs qualités personnelles. Dis autrement, c’est le mode de fonctionnement de ces jeux qui permet à ces leaders d’exister. Par conséquent, les facteurs clés du leadership sont tout autant lié à l’environnement qu’aux compétences de l’individu.


Une fenêtre numérique ouverte sur leader de demain

Généralement, on trouve dans les jeux en lignes des guildes ou équipes de 40 à 200 joueurs qui ne se connaissent pas dans la « vie réelle », mais qui vont passer des heures ensemble pour surmonter de nombreuses épreuves, afin de progresser individuellement et collectivement. C’est au sein de ces « organisations » que se révèlent des leaders. Si bien sûr des différences existent dans le monde des affaires et celui des jeux en lignes, le fait de devoir être autonome et de travailer de façon collaborative, de mettre en place un leadership décentralisé et non-hiérarchique, correspond à des compétences que devront posséder les leaders de demain.


Le leadership demande de la réactivité

Le temps étant contracté dans les univers virtuels, ces leaders sont capables de mettre en place une stratégie en ayant analysé les forces et faiblesses de l’adversaire, d’organiser un plan d’action et de distribuer les missions à chacun des membres de l’équipe en quelques minutes. Là encore, le temps de décisions est moins rapide dans l’entreprise, sauf peut-être sur les places financières, mais cette capacité à prendre des décisions rapidement est de plus en plus importante.


Encourager la prise de risques

Contrairement à l’entreprise dans laquelle l’échec est considéré comme un frein à une carrière et mène à des décisions timorées, dans les mondes virtuels la prise de risques est acceptée et partagée par tous. L’échec est considéré comme formateur et n’empêche pas de recommencer rapidement. Si bien sûr les conséquences d’un échec ne sont pas les mêmes pour un capitaine d’industrie qui gère l’emploi de nombreux collaborateurs, penser que l’échec est sans conséquence pour les joueurs est une erreur. Psychologiquement, la charge peut être très lourde à supporter. Aussi, s’habituer à prendre des risques régulièrement et vivre sous la pression est un excellent entraînement pour les leaders. Dans une entreprise, découper un grand projet en plusieurs petits chantiers, permet de minimiser les conséquences de l’échec et de rendre ainsi l’erreur et la prise de risques pédagogiques.


Un management tournant

Dans les MMORPG, le rôle de leader est souvent tournant, en fonction des situations à affronter. Le leadership se fonde non pas sur un rapport hiérarchique, mais sur les compétences nécessaires à résoudre les problèmes rencontrés. Si certains joueurs sont des leaders reconnus et conservent ce rôle sur un long terme, l’idée d’une direction temporaire est couramment répandue chez les joueurs. D’ailleurs, sur un champ de bataille, quand le leader n’est pas présent pour prendre une décision, un joueur présent est rapidement reconnu par l’équipe qui le place naturellement à sa tête. Ainsi, les bons leaders sont aussi de bons collaborateurs, car ils comprennent les buts à atteindre et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir. De plus, ce management tournant évite un burn-out dans des situations de stress à répétition. Cette idée de leadership temporaire est étrangère à beaucoup d’entreprises. Pourtant, personne ne peut prétendre être un expert dans tous les domaines. L’idée de diriger des projets par delà les hiérarchies est encourageant pour l’ensemble des collaborateurs qui se sentent alors reconnu pour leurs expertises propres.


La transparence informationnelle

L’ensemble des joueurs d’une équipe possède la même information sur le groupe, et surtout celle-ci n’est pas « faussée » (l’affichage à l’écran des informations est le même pour tous). Ce qui est un vrai plus pour le chef de groupe. De plus, dans la répartition des rôles et missions, chacun peut voir que cela suit une logique opérationnelle et à l’impression que les décisions sont justes. Dans les faits, c’est surtout une méritocratie. Mais dans une entreprise, une équipe n’est pas en permanence dans un PC de commandement de type « warroom », sauf peut-être dans le monde de la finance. Avec la mise en place d’une base de connaissances accessible à tous, et un système de « push » en direction des décideurs, sans devoir passer par les strates hiérarchiques, permettraient de retrouver en partie ce côté console informationnelle.



Bien sûr, c’est le scepticisme qui va prédominer chez les décideurs, sauf si l’un d’eux a été un joueur en ligne. Dans l’enquête pour IBM, les managers qui sont aussi des joueurs ont pour la majorité répondu que les compétences sollicitées et développées dans les jeux leurs sont utiles dans leur travail au quotidien. Ils considèrent aussi que l’environnement développé dans les jeux pourrait être appliqué à l’entreprise, mais que cela nécessiterait une révolution culturelle au sein des organisations (notons la mise en place par DHL d’un recrutement de ces futurs managers par l’intermédiaire d’un serious game), notamment concernant la question de l’échec. Mais une nouvelle génération de collaborateurs arrive, plus imprégnée par cette culture du jeux en ligne, ce qui pourrait faire évoluer les mentalités. De plus, les nouveaux logiciels sociaux facilitent aussi le travail collaboratif. Finalement, une révolution dans les organisations n’est peut-être pas si lointaine…