Management 2.0 = autogestion ?

psuQuand on rencontre des responsables d’entreprises, dans le cadre d’un projet de travail collaboratif, les deux craintes qui reviennent le plus souvent sur la table sont la perte de contrôle et l’idée que « collaboratif = anarchie ou autogestion ».

Je vais passer rapidement sur la perte de contrôle (on a confiance dans ses collaborateurs ou pas et ils ont d’autres moyens pour vous mettre la pagaille s’ils le souhaitent, plus de détails ici).

Mais cette idée d’autogestion, je l’entend aussi de plus en plus souvent auprès de gens plus familiarisés avec le concept de management/entreprise 2.0. Alors finalement entreprise 2.0 = autogestion ?

Je vais ne parler ici que de gouvernance. Si on parle d’autogestion, dans sa définition classique, c’est le fait que, pour un groupe ou une structure considérée, les décisions sont prises par ce groupe ou l’ensemble des personnes de la structure. De fait, cette idée vise à la suppression de toute distinction entre dirigeants et dirigés et à terme à la possibilité de s’organiser sans dirigeant. Cela existe déjà, par exemple au Pays de Galles où une mine fonctionne sur ce modèle (Jean-Michel Carré y a consacré un documentaire en 2000).

Je crois qu’il ne faut pas confondre gouvernance et processus (même s’ils sont liés). A partir du moment où vous avez un PDG, un comité de direction et un conseil d’administration, dans la majorité des cas (tous les cas ?), les lieux de décisions sont clairement définis (même si par la suite la délégation peut être importante).

Bien sûr ma réponse pourrait être simple et illustré par l’exemple de Cisco dont j’aborde le cas régulièrement. Comme je le dis souvent, Cisco est un exemple d’entreprise 2.0 à une très grande échelle, mais je crois que personne ne remet en question le rôle de dirigeant de son CEO John Chambers. Même s’il y a quelques temps, le Magazine Fastforward titrait : Comment le PDG de Cisco John Chambers transforme ce géant de la High Tech en entreprise socialiste. Cela montre qu’il y a tout de même des points à éclaircir.

Cisco a mis en place un certain nombre de processus visant à développer le travail collaboratif en son sein. Il considère que le top doit être exemplaire dans son fonctionnement, doit être un sponsor de ces pratiques collaboratives, et surtout doit donner une vision de l’entreprise pour les années à venir. Alors peut-on se passer de cette couche hiérarchique ?

La question se pose surtout pour  la vision et de la stratégie. L’ensemble de l’entreprise peut-elle/veut-elle construire la stratégie d’un groupe ? Je ne suis pas sûr qu’une entreprise puisse se dispenser de cet échelon. Il faut souvent prendre des décisions rapide et difficile qui à l’heure actuelle peuvent difficilement s’appliquer à une grande échelle de manière réactive. En clair il faut un exécutif, après que celui-ci soit sanctionné ou non par les actionnaires ou les employés c’est une autre question.

Par contre, la stratégie de l’entreprise est influencée par ses collaborateurs, ainsi Cisco montre qu’en 2008 elle a développé 26 projets prioritaires issus de ces communautés, contre 1 ou 2 les années précédentes, qui étaient le fruit d’un mode de fonctionnement plus hiérarchique (command and control). Avec la mise en place des communautés, les feeds-back des collaborateurs sont beaucoup plus importants et la part d’autonomie aussi.

Cela se concrétise par une plus grande agilité (réduction des temps de décisions en phase avec l’opérationnel et/ou le terrain liés aux feedbacks), un décloisonnement et une transparence liés à une plus grande fluidité de la circulation de l’information, donnant l’impression d’une plus grande liberté de décision ou pour le moins implication. On peut parler d’organisation intégrative.

La grande différence est donc l’écoute des dirigeants et l’empowerment des collaborateurs. Bien sûr, pour cela la taille/l’épaisseur du management intermédiaire est amené à diminuer en proportion et à évoluer dans ses modes de management (plus de détails dans deux articles de ce blog sur ces questions ici et ici). Il y a donc bien une réduction de la pyramide au profit de d’une organisation plus horizontale (reposant d’une part sur les notions d’identité des acteurs et d’autre part de multi-communautés), mais pas une véritable autogestion au sens ou se sont les collaborateurs qui décident de tout.

A l’inverse, il est illusoire, comme le rappelle John Chambers, de penser qu’il dirige seul 66 000 collaborateurs (même avec l’aide de son board). C’est pourquoi il faut donner le maximum d’autonomie (ce qui signifie aussi responsabilité) aux collaborateurs en réduisant le côté bureaucratique et rigide de l’organisation lié au modèle pyramidale des organisation classiques (délégatives comme les appelle Henry Mintzberg). Autour de ce sujet, je vous conseille le livre du PDG Michel Hervé intitulé, de la pyramide au réseau (vous trouverez ici une présentation des idées de Michel Hervé, développées lors d’un petit déjeuner où nous l’avions invité).

De fait les modes d’organisation et de management sont en train d’évoluer pour impliquer plus les collaborateurs et permettre une meilleur réactivité. Dans ce cadre, je ne saurai trop vous recommander le livre intitulé la fin du management de Gary Hammel qui présente de nombreux retour d’expérience d’entreprise qui ont su faire évoluer leur mode de fonctionnement (et puis il parle de management 2.0, sans aborder la question des technologies).

L’autre question est plutôt la responsabilité du chef d’entreprise. Est-il là uniquement pour assurer la performance de l’entreprise et augmenter les revenus des actionnaires, ou est-il aussi en charge du bien être de ses collaborateurs ? Quand on regarde les résultats de Cisco qui annonce que 78% des collaborateurs concerné par le collaboratif considèrent qu’ils ont amélioré leurs qualités de vie, sans pour autant diminuer la satisfaction des clients ou des partenaires, cela ne semble pas contradictoire.

Tout comme il faut des incitations (qui passe par le système d’évaluation et donc le financier) à travailler collaborativement, l’idée d’une rémunération variable des managers liés à des indicateurs sociaux est sans doute une solution. Cet idée est issue d’un rapport remis au Premier ministre mi-février sur les risques psychosociaux. Les rapporteurs n’étaient pas de dangereux gauchistes, puisqu’il s’agit du président de la section travail du Conseil Economique et Social, du président du conseil de surveillance de Schneider Electric et de la DRH du groupe Danone.

Finalement, si le travail collaboratif ne conduit pas forcément à l’autogestion, ne va-t-il pas tout de même changer les rapports de pouvoirs (empowerment) et introduire plus de social dans votre entreprise ?