Entreprise collaborative on en est où ?

Tendances_Entreprise_Collaborative_logo_620x350Voici un livre blanc sur les tendances de l’entreprise collaborative et soutenu par Box. Dans ce cadre, « 5 spécialistes », dont moi, se sont exprimés sur ce sujet. Voici mon article

Entreprise collaborative, entreprise 2.0, social business, entreprise digitale, les mots sont nombreux pour définir un même concept. Disons que ce dernier porte au moins sur 4 dimensions. Si on simplifie à l’extrême cela revient, pour la première, à avoir une vision principalement interne de collaborateurs travaillant de manière décloisonnée, plus sociale, conversationnelle, dans un but d’efficacité et d’amélioration du service pour le client final. Bien souvent, elle s’incarne à travers la notion de réseau social d’entreprise, ou de digital workplace, avec du travail sous forme de communauté.

La deuxième dimension, repose sur le même principe, avec des communautés ouvertes sur l’externe afin de travailler avec des parties prenantes externes, comme les clients ou les partenaires.

La troisième dimension, concerne la présence sur les médias sociaux, car l’entreprise ne peut contrôler l’ensemble de ses espaces d’interactions et elle se doit d’être présente sur les espaces où sont présents ses clients et prospects. Enfin, la dernière, et non des moindres, porte sur l’évolution du business model face à la digitalisation d’un certain nombre de marchés : supply chain, transport, logement, presse, livre, éducation…

On en est où ?

Dans le cadre de cet article, nous allons nous concentrer sur la première dimension, autour de la transformation digitale/ collaborative de l’entreprise. Si le terme d’entreprise 2.0 date de 2006, il faut bien reconnaître que cette notion de transformation des modes de fonctionnement de l’entreprise n’a pas vraiment avancée même si elle a connu une légère progression ces deux dernières années. Aucune entreprise n’est isolée du reste de la société, « no one is an island ». Au regard des différents méga trends qui parcourent la société, il était difficile pour les entreprises de ne pas, au moins, s’y intéresser. Crise ou opportunité pour certains, quoiqu’il en soit, de nombreux modèles d’affaires se voient remis en cause. Instabilité politique (printemps arabe, Ukraine…) et pour l’entreprise, remise en question des modes de management traditionnels. Impact des technologies dans les usages de la société dans son rapport au temps et à l’espace, et remise à plat des modes d’interaction et de communication en externe mais aussi en interne pour l’entreprise. Sans compter la génération Y, dont les modèles culturels sont différents, et dont, la présence dans les entreprises est, de plus en plus importante. Ces grandes tendances obligent l’entreprise à s’adapter et, comme le montre une étude sur les CEO d’IBM, pour 75% d’entre eux, cela passe par le collaboratif. Cela n’est pas sans lien avec les différents retours d’expériences d’entreprises qui font jours, et les études comme celle du MIT, qui montrent que les entreprises digitales seront 17% plus profitables que leurs concurrents.

Et pourtant, dans le même temps, 80% des projets collaboratifs en entreprise ont/vont échouer. Un peu paradoxal peut-être. En fait, il y a eu, dès le départ, un grand malentendu. Digital, social, collaboratif, les entreprises ont « compris» outil. Or les outils ne sont qu’un levier, ce ne sont pas eux qui collaborent, mais bien les individus, et là, on est plutôt loin du compte. Du coup, la majorité des entreprises qui ont installé une plateforme collaborative, pensait avoir réglé la question. Mais, quand elles ont compris que le coût des licences ne suffisait pas, mais qu’on parlait bien de transformation globale de l’entreprise, et de l’ensemble de ses processus, cela en a fait réfléchir plus d’une, certaines ayant eu l’impression d’avoir été flouées. Surprenant sans aucun doute pour les gens qui surfent sur la vague, qui font du socialwashing, mais pour ceux qui travaillent sur le sujet en profondeur, tout le monde sait bien que depuis le début, on parle bien de : liens avec le business, de moyens/ envies donnés aux salariés, d’évolution des structures (rôle, pilotage, évaluation, manière de travailler…) mais que le reste, conversation pour la conversation et Facebook interne de l’entreprise, revient à rester à la surface des choses.

Nouveau modèle d’organisation et engagement

Nous ne sommes plus à l’ère du taylorisme, où chacun réalise une tâche de manière répétitive (pour le moins chez les cols blancs). Aujourd’hui, la valeur ajoutée repose sur l’autonomie, la créativité, l’innovation et l’agilité. Les collaborateurs doivent s’investir dans l’entreprise, pas uniquement faire acte de présence. Pourtant, de nombreuses études montrent que 70% des collaborateurs sont désengagés de leur entreprise. Il y a donc bien à revenir sur les modes de management de l’entreprise afin de changer cet état d’esprit. Cependant, beaucoup d’entreprises ne sont pas des start up et faire fi de leur histoire (l’avantage des start up c’est qu’elles partent d’une page blanche) en faisant table rase du passé est assez vain. Chacun est prisonnier de son histoire et de sa culture. Cela ne veut pas dire que rien ne peut évoluer, d’ailleurs, les entreprises dans l’histoire ont démontré leur capacité d’adaptation, mais le plaquage d’un modèle est particulièrement contre-productif. En ce moment, notamment sous la poussée médiatique de Zappos, le modèle de l’holacratie a le vent en poupe. L’idée étant d’avoir une organisation en mode fractale où les équipes s’auto-organisent et ne sont plus sous la tutelle d’un manager. En gros, un peu sur le modèle du corps humain où les cellules réagissent de manière autonome mais sont reliées entre elles pour former un tout cohérent.

A mon humble avis, avant de parler organisation (même si celle-là me convient bien) on devrait parler culture et management. Sinon, on en vient vite à des coquilles vides. Ou sinon, sous couvert de participatif, on en revient à un leader, qui, s’il n’est plus hiérarchique, serait celui qui s’investit et aurait une forme de technocrate. Sans pour autant parler du modèle de leadership charismatique. Mais peut-on totalement s’émanciper des modèles de leaders décrits par Max Weber ? Ceci est une autre question. Ce modèle d’autogestionnaire et d’empowerment, peut-être aussi, un vrai cauchemar pour le collaborateur. La pression sociale n’est pas mieux vécue, peut-être même, moins bien, que la pression managériale. De plus, absence de titre de manager, ne veut pas dire absence de management. Tout comme les jeux de pouvoirs, qui vont se mettre en place au niveau de ces différents groupes, en compensation de l’absence de règles imposées. Cela veut donc dire, un engagement de chacun pour construire ensemble, des règles et des moyens d’autocontrôle au sein du groupe. Du coup, on en revient à l’engagement précédemment évoqué. Car une des bases de l’auto-organisation qui découle de ce type de modèle, est l’engagement. Ce type de modèle organisationnel sur le papier fonctionne très bien, mais prend du temps pour fonctionner au quotidien de manière fluide. Ce  sont donc, les rapports de pouvoir qui sont à redéfinir afin de permettre un engagement de chacun. Mais là encore, à juste titre, cela fragilise l’entreprise, dans ces temps d’incertitudes et de rupture de modèle. Mais, n’est-ce pas non plus le symbole que nous entrons dans une ère de changement permanent ? C’est surtout, un autre facteur, qui fait que les entreprises vont avoir du mal à ne pas faire évoluer leur modèle.

Le poids de l’externe sur l’organisation interne

Si les entreprises peuvent avoir des doutes sur le versant interne de la collaboration, elles n’en ont quasiment aucun, sur celui lié à l’impact du chiffre d’affaires des réseaux sociaux. Si, pendant longtemps, le stagiaire a été en charge de cette tâche, de plus en plus d’équipes dédiées au sein des entreprises existent. Mais là encore, la montée en charge de ces modes d’échanges collaboratifs, montre que les besoins en ressource sont de plus en plus important, et que, les équipes mobilisables, ne sont pas infinies. Face à cela, la mise en place d’un programme ambassadeur devient de plus en plus prégnant. Mais, cette nouvelle donne, ne peut faire l’économie d’une remise à plat des silos, des processus et des modes de management existants au sein des organisations. En effet, une simple reproduction du « communiqué de presse » ou voix de la communication corporate, ne peut-être, au mieux inefficace, au pire, contre-productive. Car cela va à l’encontre de la culture web et les parties prenantes externes pourront facilement critiquer les entreprises qui tentent de singer des modes de fonctionnement qui leur sont étrangers.

A l’opposé, penser que les ambassadeurs vont se mobiliser d’eux même et fonctionner en dehors de toute forme d’organisation est tout autant illusoire. Aujourd’hui, bien souvent, on a plus à perdre à être collaboratif et à s’engager dans cette voie, plutôt que de préserver ses anciens modes de fonctionnement. Donc, sans signe clair de l’organisation, la mise en place d’une gouvernance, d’un programme d’accompagnement et d’engagement du top management, cela semble difficile d’arriver à une véritable évolution. On retrouve ici, les principales thématiques évoquées précédemment, conduisant à de nouvelles formes d’interactivité, qui sont, trop souvent, étrangères aux dirigeants, ne comprenant pas cette nouvelle culture, et qui, se contentent d’en voir l’écume des vagues sans en mesurer réellement les tenants et aboutissants. Mais cette urgence devrait obliger les entreprises à se saisir du sujet.

On peut voir, que les années de jeunesse de l’entreprise collaborative sont en train de passer, et ont été, assez souvent, synonyme de déception. Faut-il pour autant signer ici l’arrêt de mort de l’entreprise collaborative ? Je ne crois pas ; mais les entreprises doivent comprendre, que le coup de peinture ne suffit plus, et qu’il faut s’attaquer aux fondations, sinon, en effet, il faudra l’enterrer définitivement. Plutôt que de s’intéresser aux ouvrages récents sur les médias sociaux, peut-être, faut-il plutôt, revenir à des classiques du management comme Crozier ou de la sociologie, comme Michel Foucault. Après tout, c’est bien de cela dont on parle. Les rapports entre les individus et le paradigme d’une certaine domination qui touche à ses limites dans la société comme dans le monde de l’entreprise. C’est bien un « nouveau » modèle de leadership qui se profile au sein duquel, la notion de collectif ne peut être absente.

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