Les nouveaux défis du management à l’heure du virtuel

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Chaque semestre IDRH publie une lettre. Un de mes collègues, pas vraiment adepte des nouvelles technologies, a publié un article sur le management, qui entre tout à fait dans la ligne éditorial de ce blog, c’est pourquoi je le reprends ici (merci Pascal). Même si pour ma part j’aurai parlé d’iphone et pas de Blackberry ;-).

Les oracles du management annoncent depuis dix ans la mort des organisations classiques : place à l’économie virtuelle, aux organisations en réseau et au management dématérialisé.

Les consultants d’IDRH sont des praticiens des organisations, pas des Nostradamus. Toutefois, jouons le jeu : acceptons le fait que nos veilles organisations sont mourantes et que s’ouvre une nouvelle ère de la vie des organisations. Et, partant, essayons d’isoler les traits radicalement nouveaux d’un management que nous qualifierons ici de « postmoderne ». Nous prendrons un angle particulier : en quoi cette évolution vers un management postmoderne modifie-t-elle de manière profonde l’usage que nous faisons des technologies de l’information, dont le BlackBerry est l’emblème le plus visible ?

1er défi : être nomade mais rester collectif

Créer de la valeur dans l’économie postmoderne, c’est d’abord savoir combiner de manière inédite des savoirs qui sont disséminés de par le monde. Le manager doit donc sortir de son entreprise pour tisser ces liens inédits entre des domaines du savoir (électronique, science du vivant, marketing…). D’où ce défi : être nomade, sans perdre le lien avec son entreprise. Ceci implique des mécanismes de socialisation bien différents. Par exemple, l’utilisation de la messagerie à distance ne peut plus être vue comme un simple outil de productivité (j’écluse mes mails pour en avoir moins à mon retour au bureau) : dans l’ère postmoderne, la technologie sera chaude et socialisante. Elle ne va plus se contenter de véhiculer de l’information, mais elle deviendra un outil suscitant de l’interaction entre un individu nomade et sa collectivité.

2éme défi : renouveler le contrat social de l’entreprise

Ceci nous amène au second défi du management postmoderne qui consiste à renouveler les termes du contrat social entre l’entreprise et le salarié : « je donne à mon entreprise aussi longtemps qu’elle me permet de développer ma valeur sur le marché du travail ». Or dans l’économie postmoderne, la valeur des managers dépend d’abord de la valeur de leurs réseaux (internes et externes). D’où encore un usage renouvelé des technologies : il n’est plus question de fermer l’accès à Internet aux salariés, mais bien au contraire de les inciter à élargir leurs réseau au travers de tous les outils disponibles (blogs, Twitter, Facebook…) : ces outils m’enrichissent autant qu’ils enrichissent l’entreprise car à travers eux j’étends mes réseaux personnels autant que ceux de l’entreprise.

3éme défi : créer de nouveaux modes de leadership

Mais dès lors surgit la question redoutable, notre troisième défi : comment commander lorsque l’on se trouve à la tête d’une horde de managers nomades qui possèdent souvent plus d’information que soi-même ? La possession de l’information ne permet plus d’asseoir le pouvoir. De même que la volonté de se trouver sur le chemin critique de toutes les décisions. Le leadership dans l’économie postmoderne est donc bouleversé : l’univers est plus ambigu, plus multivalent et plus multiculturel. Il ne s’agit donc pas uniquement de posséder l’information, mais de la décoder et de lui ajouter ainsi de la valeur. Et cette compréhension n’est pas uniquement fondée sur ses compétences intellectuelles : les compétences sociales entrent en jeu aussi ; comprendre (et écouter) autrui est la condition préalable à comprendre l’information qu’il chercher à me délivrer (ou à me cacher).

4éme défi : créer de la valeur, et non plus simplement être rentable

Commence ainsi à se dessiner un nouveau manager, bien différent de celui de l’ère industrielle qui cherchait d’abord à optimiser les coûts. Une rationalité cartésienne lui servait de référence pour optimiser le fonctionnement de l’entreprise : il décidait d’une action si elle était estimée rentable à court terme et écartait toute idée présentant un potentiel de risque. Désormais, la question posée au manager est celle de sa capacité à optimiser le fonctionnement collectif de l’entreprise. Il ne peut plus imaginer créer de la valeur simplement à l’aune de son propre raisonnement. L’entreprise s’est complexifiée et il s’agit d’intégrer dans tout calcul d’optimisation les autres parties prenantes, qu’elles soient au sein de l’entreprise ou à l’extérieur : le manager se doit d’être collaboratif, partenarial et négociateur. Les technologies de l’information deviennent ainsi des outils de productivité collective à utiliser comme une interface interactive et soucieuse du point de vue de l’autre.

5éme défi : la production du savoir collectif

Mais ne l’oublions pas, les fondamentaux de l’organisation restent les mêmes : le manager, tout postmoderne qu’il soit, doit aussi combiner avec une organisation qui a ses pesanteurs et ses résistances au changement. Le savoir extérieur ne peut donc pas rentrer dans l’entreprise sans un travail d’appropriation en interne. Le savoir individuel doit donc être progressivement transformé en savoir collectif : c’est là un autre défi majeur des entreprises que de laisser les marges de manoeuvre suffisantes pour ne pas tuer les innovations dont les individus sont forcément porteurs. Là encore, la technologie de l’information peut permettre de jouer ce rôle d’incorporation des savoirs externes au coeur même de nos vieilles organisations : rebondir directement sur une information (un mail), se faire confirmer un point de vue, demander son avis à une autre personne, voir surgir une réponse d’une personne « non autorisée »… Peu à peu, le savoir prend forme, mais collectivement cette fois. La multitude de ces mails que l’on déplore trop souvent (Re : Re : Re : Re…) permet en réalité la mise en réseau des points de vue et l’élaboration progressive d’une décision dont on ne peut plus savoir qui en est à l’origine.

6éme défi : manager à la fois avec son QE et son QI

D’où un nécessaire changement de posture pour nos managers à la tête bien faite : le manager taylorien pouvait diriger avec son quotient intellectuel (QI) : il suffisait de poser les termes du problème et de définir l’optimum en conséquence. Quid de l’appropriation par les hommes ? Si un employé ne comprenait pas, c’est qu’il n’était pas compétent ou qu’on lui avait mal expliqué. La formation et l’information pouvaient résoudre le problème rencontré. Ce QI ne peut plus suffire à lui seul : le manager postmoderne va devoir également utiliser son quotient émotionnel (QE) pour créer son réseau d’influence. Il lui faudra écouter et comprendre autrui qui, s’il ne comprend pas, a sans doute de bonnes raisons de ne pas vouloir comprendre. L’enjeu est désormais d’apprendre à mieux connaître des acteurs différents avec des manières de penser différentes, a fortiori dans des environnements de plus en plus multiculturels et dans des entreprises plus que jamais ouvertes à des parties prenantes « extérieures ».

7éme défi : la diversité communautaire plutôt que la discipline unitaire

Tout ceci nous donne une image bien moins organisée de l’entreprise. Dans l’ère industrielle, l’entreprise était stratifiée, on ne se rencontrait pas si l’on n’avait pas le même statut. Les acteurs avaient des intérêts catégoriels (les ouvriers, les cadres, les clients, les fournisseurs,…). Aujourd’hui, les communautés priment : l’altérité et la diversité remplacent l’uniformité et deviennent la force collective de l’entreprise. Ces communautés se composent au gré des besoins et disparaissent quand elles ne sont plus utiles. Les acteurs se rencontrent et travaillent autour d’intérêts partagés mais momentanés. Les nouvelles technologies permettent de créer et de gérer des communautés virtuelles et multiformes.

8éme défi et conclusion : apprendre la réalité du virtuel

Dans l’ère industrielle, la technologie servait à « mécaniser » les relations interindividuelles : l’interface homme – machine s’imposait comme un écran. Désormais, la technologie libère l’imagination et fait rentrer les organisations dans le foisonnement des univers virtuels. « Mon » Blackberry est le miroir de ma personnalité : à travers mes messages, mes interlocuteurs ne captent pas uniquement les pièces jointes, mais ils devinent aussi mes intentions, ma proximité vis à vis d’eux, le souci que j’attache à leur point de vue. Ce faisant la technologie de l’information peut produire cette intelligence collective. Le virtuel devient réel et c’est peut être là le plus difficile à admettre pour nous tous.