Faut-il libérer l’entreprise ?

libererCes derniers temps quand on parle de transformation de l’entreprise, la parole se situe rarement du côté des praticiens RH, même si tout le monde convient qu’il s’agit avant tout d’une question culturelle centrée sur les collaborateurs. Le plus souvent se sont des gens de l’IT ou du marketing qui préemptent le sujet. Le livre dont je vais vous parler a été rédigé par 2 praticiens des RH : Gilles Verrier, ancien DRH de plusieurs grands groupes et Nicolas Bourgeois qui a été consultant dans de grands cabinets de conseils (nos parcours professionnels se sont même croisés dans un cabinet en management et stratégie il y a quelques années). Voyons un peu ce que cela apporte à une réflexion plus globale de l’entreprise, qu’elle soit digitale ou pas, car comme je l’écris souvent sur ce blog, le mot important c’est transformation, pas digital.

Leur postulat de départ est d’interroger la notion d’entreprise libérée, puisqu’elle est souvent brandie comme un étendard et une évidence. Libérée, libératrice, sans rentrer dans un débat sémantique sans fin, les auteurs reviennent sur ce mot qui est devenu souvent polysémique afin d’en définir les différents contours, mais aussi les jeux d’acteurs qui y sont liés.

Comme souvent, on a toujours l’impression d’inventer de nouveaux modèles quand il s’agit de transformation et encore plus pour la transformation digitale. Là encore, les auteurs reviennent sur les principaux modèles organisationnels depuis les années 70, qui accompagnent souvent ces transformations, en passant de la sociocratie, au lean management, sans oublier l’organisation holomorphe, la subsidiarité (qui n’est pas la délégation), la pyramide inversée dont j’ai déjà parlé sur ce blog et bien sûr la dernière à la mode l’holacratie, mais bien d’autres encore.

Comme le rappellent les auteurs si cette notion de « libération » et la nécessité de transformation sont à la mode, il existe néanmoins des raisons objectives liées à la mutation des modes de travail, le besoin de sens et de réalisation de plus en plus pregnant des individus, l’impact du digital, auquelles s’oppose l’entreprise traditionnelle hiérarchique et les modes de fonctionnement découlant de cette organisation pyramidale. Mais la fin de l’entreprise Taylorienne pour répondre aux nouveaux défis de l’économie oblige les entreprises à se repenser, de manière contrainte ou volontaire. Cela conduit au rôle de chacun et des relations entre acteurs, du salarié au manager, avec un équilibre entre liberté et responsabilité à construire. Dans cette partie, on regrettera peut-être que les auteurs ne fassent qu’effleurer la question du bonheur/bien être en entreprise avec le rôle central du travail dans nos sociétés. Pourtant il me semble que la question des rapports de pouvoir dans les relations interpersonnelles est tout aussi important et méritait un développement plus important.

La dernière partie de cet ouvrage, après un état des lieux agrémenté de nombreux témoignages (très bien sélectionnés, agréables à lire et particulièrement instructifs), revient sur la mise en oeuvre de cette transformation. Tout d’abord cette mise en oeuvre doit-être collective dans son analyse. Il faut bien le reconnaître, d’après mon expérience, si beaucoup d’entreprises adoptent de plus en plus une démarche collective dans la transformation de l’entreprise, cette première phase d’analyse reste bien trop souvent purement top-down. Il est d’ailleurs intéressant de voir que les auteurs analysent comment donner les moyens aux collaborateurs de participer de manière efficace à ce processus d’analyse et transformation (pratiquement cela passe par de nombreux ateliers d’écoute, partage et propositions) :

  • Compréhension : enjeu d’information
  •  Acceptation : enjeu d’adhésion
  • Maîtrise : enjeu de compétences
  • Encouragement : enjeu d’incitation

Le tout conduit à une logique de responsabilisation de chacun et un besoin important de formation sous diverses formes. Il ne s’agit donc pas de proposer une organisation idéale (qui n’existe pas), mais de donner les moyens de la bâtir ensemble et permettre à chacun de prendre position, notamment les managers dont le rôle sera souvent le plus « bouleversé ». Mais au final cela conduit aussi la direction à se repenser et évoluer dans le même temps et ne pas rester hors sol, comme cela est trop souvent le cas.

Au final un livre qui fait bien le tour de la question, même si on regrettera parfois une trop grande distanciation de la part des auteurs, sans doute dans un souci de neutralité ou pour ne pas effrayer un auditoire Rh souvent timide sur la question. Mais il est agréable de voir que des gens des RH, décident aussi de parcourir, mais surtout éclairer ce chemin de la transformation.